Suite à des siècles de négligence, puis des années de fermeture et de déboires pendant la Révolution française, la cathédrale Notre-Dame des Doms à Avignon avait besoin d'être rafraichie et embellie.
Pour couvrir les murs d'histoires du passé, on fera appel au peintre reconnu pour son imagination et son grand talent grâce à son triomphe au Salon de Paris en 1827 : Eugène Devéria...
L'artiste arrive sur place en 1838 pour peindre les deux chapelles qui sont à gauche en entrant dans la basilique.
"Les Disciples d'Emmaüs" (1840)
En place d'honneur au-dessus de l'autel on découvre, non pas "Notre Dame", mais Jésus-Christ. Il est entouré des deux personnes avec lesquelles il vient de marcher depuis Jérusalem jusqu'à Emmaüs. Luc 24.13-35
Pendant le trajet, ces deux hommes s'étaient montrés plutôt abattus par la crucifixion de Jésus qui portait leur espérance pour délivrer Israël.
Restant incognito, Jésus leur explique "dans toutes les Ecritures ce qui le concernait". Arrivés à destination, réunis autour de la table, ces hommes comprennent enfin que c'est lui, Jésus, devant eux. Leurs yeux s'éclairent, leurs visages s'illuminent.
L'artiste a mis son propre visage sur le disciple de gauche et celui de son élève, Charles Alexis Apoil, sur celui de droite.
Cette peinture murale est une des rares véritables "fresques" (réalisation sur de l'enduit intonaco avant qu'il ne sèche).
Plus haut, côté droit, c'est Roi David qui joue de la harpe.
Il paraît que c'est la fille d'Eugène, Marie, à droite au premier plan, qui accompagne le psalmiste.
La date de cette oeuvre n'est pas confirmée. Toutefois, entre 1838 et le départ de l'artiste en 1841, Marie n'avait qu'entre 7 et 10 ans. Soit cette fresque a été entièrement réalisée au retour de l'artiste en 1856, soit Marie a été ajoutée à ce moment-là.
"Le Roi David"
"La Présentation de Notre Seigneur" (1839)
La peinture murale à gauche de l'autel est "La Présentation de Notre Seigneur".
Eugène s'inspire des visages de ses cousines qui vivaient près d'Avignon pour Marie, la jeune mère qui présente Jésus au temple ainsi que pour Anne, la femme "fort avancée en âge" au premier plan à gauche. Luc 2.36-38
On se retourne pour découvrir sur le mur d'en face "La Visitation".
Marie, enceinte de Jésus, rend visite à sa cousine, Elisabeth. Luc 1.39-56
Zacharie, le mari d'Elisabeth et Joseph, le fiancé de Marie, discutent à droite en arrière plan.
"La Visitation" (1839)
Plus haut et à droite se trouvent deux peintures qui honorent Marie. L'artiste prend la fille des concierges de l'église pour modèle.
Remarquons qu'il imagine Jésus un peu plus âgé que ce que l'on voit d'habitude et avec des bouclettes.
Tout à fait à droite près des plis de la robe dans "Mater Purissima" on distingue la signature "Eugène Devéria".
Jérémie et Esaïe
Au-dessus : "Les Prophètes"
Pourquoi ces prophètes et pas d'autres? Eugène devait savoir que ce sont eux qui ont le plus détaillé la venue de Jésus.
Daniel et Ezéchiel
La signature "E. Devéria" tout à fait en bas, angle gauche
On continue à avancer à droite. L'oeuvre suivante s'étale sur deux arcades. La deuxième arcade est celle qui nous intéresse à cause d'une anecdote célèbre...
Plus d'une fois, Eugène s'était agacé avec Gayet, le maçon qui devait préparer l'enduit. Lorsqu'il s'apprêtait à peindre la scène d'un chrétien brûlé vif à cause de la foi, il lui annonce qu'il le représenterait en bourreau et lui en martyr.
Effectivement, il a vraiment l'intention de le faire et commence par peindre le tortionnaire. Toutefois Gayet n'apprécie vraiment pas de se voir dans le rôle du vilain, et ajoute une barbe et une moustache pour le faire ressembler au maître peintre.
Eugène trouvera ça drôle et laissera les barbouillages du maçon sur le bourreau. Puis, pour finir, il donnera les traits de Gayet au martyr aussi ! Lui-même, il sera avec son frère, Achille, et sa fille, Marie, parmi les personnages à droite.
"La Regina martyrum" (supplice de saint-Laurent)
En visitant ces lieux, je vous invite à imaginer le peintre là-haut sur son échafaudage et deux pasteurs qui le regardent d'en bas.
Un jour, le pasteur Emilien Frossard, alors qu'il exerçait son ministère à Nîmes, était venu ici en touriste avec son frère, Louis, pasteur à Avignon. Il raconte qu'ils ont entendu l'artiste au travail sur son échafaudage "piquer une vive colère et jurer comme un charretier".
Emilien se serait tourné vers son frère pour dire : "Toute conversion est un miracle, mais si celui-ci se convertit, ce sera un double miracle."
Ce sera chose faite quelques années plus tard. Eugène aura traversé des conflits intérieurs qui l'auront poussé à "mettre son nez sur la Bible" (selon son expression). Cette fois-ci il lit, non pas pour trouver l'inspiration pour son travail, mais pour son propre bien.
Si de nombreuses personnes disent qu'il s'est "converti au protestantisme", lui-même ne définira pas son expérience ainsi. Il répétera encore et encore : "J'ai l'âme purifiée." Il aura connu une véritable délivrance de son passé qui l'angoissait et le rendait si malheureux.
Plus de détails dans "Ces lieux qui parlent" pages 286-289
Sources : Le journal d'Eugène Devéria (manuscrit aux Archives de Pau dans l'usine des tramways)
REVUE DU MIDI Tome 44, Janvier 1911, pages 23 à 32 sur le site "Internet Archive"
Le restaurateur de la basilique Notre-Dame des Doms à Avignon, Anne Richard-Bazire sur le site Open Edition Journal
Bulletin° 39 avril 2006, Centre d'étude du protestantisme béarnais, "Le protestantisme d'Eugène Devéria" Suzanne TUCOO-CHALA
Bulletin n°26 octobre 1999, Centre d'étude du protestantisme béarnais, "Eugène Devéria en Béarn : romantisme et protestantisme (1841-1865)" Suzanne TUCOO-CHALA
"Emilien Frossard, Apôtre des Pyrénées", Marc Louis Forissier, Tarbes, Editions d'Albret, 1946