L'abbaye de l'Escaladieu
L'armarium claustri (la bibliothèque)
Quelque part dans ce champ...
À partir de 1248, Pétronille, comtesse de Bigorre, s’installe à l’Escaladieu dans un petit logement spécialement aménagé, lui permettant de sortir et régler ses affaires courantes sans passer par l’abbaye (zone interdite aux femmes).
Trois ans plus tard, elle tombe gravement malade. Avant de décéder, elle écrit un testament, assez long, dans lequel elle détaille les trésors qu’elle laisse aux moines. Et elle demande être enterrée sur la propriété. [1]
En 1283, la dépouille du petit-fils de Pétronille, le comte Esquivat de Chabanais trouve une place à ses côtés.
Pour marquer dignement l’emplacement des comtes de Bigorre, il devait y avoir des plaques luxueuses, voire même des monuments. Où sont-ils passés ?
Sur la route des bandouliers
Inévitablement, la fortune des moines attirait les bandits. La route entre Bonnemazon et Gourgue ne porte pas le nom de « Route des Bandouliers » pour rien ! Des pillards se cachant dans les montagnes descendaient la vallée pour remplir leurs poches chez eux.
L’histoire retient un pillage important en 1518, pendant que l’abbaye était gouvernée par Gaspard de Montpezat, l’évêque de Rieux.
Neuf ans plus tard, les moines venaient tout juste de finir les travaux de réparation et voilà que de nouveaux brigands, sous la conduite de Fontaraille, dégradent les lieux. « Pendant un an, le monastère fut occupé par ces hordes qui utilisaient les archives et les précieux manuscrits pour bourrer les arquebuses, brisaient les vitres afin de récupérer le plomb pour en faire des balles ! » [2]
Le pire arrive en décembre 1567 quand une bande organisée, à sa tête l’aventurier Jean-Guilhem de Linières de la vallée d’Aure, met le feu en voulant échapper aux troupes du sénéchal de Bigorre. L’abbaye n’est plus que ruines.
Moins de deux ans plus tard, le chevalier de Villembits, avec quelques soldats, fuient Tarbes devant l’armée protestante et se réfugient à l’Escaladieu. Hélas, après un siège impitoyable, ils mourront au seuil de l’abbaye.
Donc, après tout cela… non, non… trésors, archives, plaques, monuments… on ne peut espérer en retrouver.
Changement de mains…
Suite à la Révolution et la détermination d’instaurer la laïcité dans le pays, les abbayes et les églises, considérées désormais comme « biens nationaux », sont vendues par l’État. Les religieux doivent quitter les lieux. Ainsi, en 1793, c’est ce qui arrive à l’Escaladieu.
Étant entourée de belles et denses forêts, l’abbaye est achetée par des amoureux de la chasse. Au départ, ils sont quatre négociants de Bordeaux à investir dans cet achat : Élisée Nairac, Benjamin Arnaud, et deux frères : Joseph et Étienne-Louis Dubernet. Ensuite, puisque ce dernier s’y installe et l’entretient, les autres lui vendent leurs parts.
À son décès, bien des années plus tard (1822), son testament laisse l’Escaladieu au neveu de Nairac, Jean-Louis. Celui-ci est un Protestant convaincu et engagé qui ne manquera pas de se rapprocher de l’Église Réformée de Bagnères-de-Bigorre (13 kilomètres de l’abbaye) et de son pasteur : Émilien Frossard.
Ce qui devait arriver, arriva… Une des filles de Jean-Louis, Émilie-Louise épouse un des fils Frossard, Émilien-Sigismond, ministre de l’église anglicane. C’est ce couple protestant qui héritera et prendra soin de l’ancienne abbaye.
Dans la bibliothèque
Les générations se succèdent. En 1932, Ivan Frossard entreprend de déblayer certains secteurs et découvre « l’armarium claustri », la bibliothèque du cloître. Il s’agit des trois arches que l’on voit entre l’entrée latérale de l’abbatiale et la salle capitulaire.
C’est étonnant qu’il y trouve des ossements, des crânes et un corps entier. Ce n’est probablement pas les dépouilles des comtes de Bigorre. Ce serait un lieu bien indigne. Et les moines enterraient les leurs sous la salle capitulaire, une dalle indiquant l’identité du défunt. De toute évidence, c’est l’œuvre de quelqu’un de l’extérieur.
Humm. Qui aurait remplacé des livres par des ossements ? Les « hordes » de Fontaraille ?
Quelque part dans le champ
Entre 1963 et 1967, sous l’œil bienveillant d’Ivan Frossard, le professeur Colin Platt fait une étude approfondie du site, effectue des fouilles et, entre autre, trouve les squelettes d’un homme et d’une femme dans la « partie profane » (hors de la zone exclusivement réservée aux moines). S’agit-il de Pétronille et Esquivat ?
Dans le Bulletin de la Société Ramond, 2014, figure un plan qui semble indiquer que ces tombes sont à environ 22 mètres du bâtiment actuel, côté Est… ce qui veut dire, au milieu du champ longé par le cours d’eau. C’est plutôt inquiétant, car l’Arros est capable de monter (comme lors de la crue en 1973), et Platt mentionne d’avoir recouvert les squelettes tout simplement avec du carton.
Ces ossements, sont-ils toujours là ? Que l’on sache, ils n’ont pas réapparu coincés dans le Moulin de la Ribère à deux kilomètres plus loin.
En 1986, Jean Frossard vend les lieux à une association dévouée à sauvegarder le site. En 1997, le Conseil départemental des Hautes-Pyrénées prend le relais. Vivement que l’on fasse venir des archéologues pour retrouver et sauver ce qui peut l’être avant qu’il ne soit trop tard. Pour le moment, ce n’est pas sur l’agenda.
[1] Bulletin de la Société Ramond, Année 2014 : André Delpech explique comment les religieux de la cathédrale Notre-Dame de la Sède à Tarbes sont venus à croire abriter la dépouille de Pétronille, quand il s’agirait plutôt de sa mère.
[2] FORISSIER, Marc, L’Abbaye Cistercienne de L’Escaladieu, Tarbes, Éditions Albret, 1947, page 64